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Vendredi 21 mars 2008

Appel à la Refondation des Troupes de Théâtre Lyrique

 

Premiers signataires de l'Appel :

 

M. Gabriel BACQUIER, 

de l'Opéra de Paris

Baryton, Soliste international,

Commandeur des Arts et Lettres,

Chevalier de la Légion d'honneur,

Officier de l'Ordre national du Mérite


 M. Michel SENECHAL,

de l'Opéra de Paris

Ténor, Soliste international,

Directeur Honoraire de l'Ecole de l'Opéra de Paris

Officier des Arts et Lettres,

Officier de la Légion d'Honneur,

Commandeur de l'Ordre National du Mérite

 

 

Grands Signataires 

 

• M. Georges PRÊTRE, Chef d'orchestre

• M. José Van DAM, Baryton-Basse

• M. Ludovic TEZIER, Baryton

• M. Roberto ALAGNA, Ténor

• M. Alain VERHNES Baryton

• M. Claudio DESDERI, Baryton

• M. Laurence DALE, Ténor 

• M. Alain ALTINOGLU, Chef d'orchestre

• M. Jean-Louis GRINDA, Directeur de l'Opéra de Monte-Carlo

• M. Eric CHEVALIER, Directeur de l'Opéra de Metz

• M. Dominique FANAL, Chef d'orchestre

• M. Jean-Christophe BENOIT, Baryton, Professeur du CNSM

• M. Alain GARICHOT, Metteur-en-scène

• M. Jacques ROUCHOUSE, Critique musical

• M. Benito PELEGRIN, Essayiste, Professeur émérite

• M. Roland MANCINI, Musicologue

 

 

• Mme Sybil BARTROP Chef de Chant honoraire de l'Opéra de Paris

• Melle Simone FEJARD Chef de Chant honoraire de l'Opéra de Paris

• Mme Mady MESPLE Soprano, Grand Officier de l'Ordre national du Mérite

• Mme Mireille DELUNSCH Soprano

• Mme Michelle COMMAND Soprano, Professeur de chant

• Mme Andrea GUIOT, Soprano

• Mme Hélène PERRAGUIN Mezzo-soprane

• Mme Andrée ESPOSITO Soprano, Professeur du CNSM

• Mme Geori BOUE Soprano

• Mme Viorica CORTEZ Mezzo-soprane

• Mme Nadine DENIZE Mezzo-soprane

• Mme Mireille LARROCHE, Directrice de La Péniche Opéra

• Mme Elizabeth COOPER Chef d'orchestre

• Mme Denise DUPLEIX Professeur honoraire de l'Ecole de l'Opéra de Paris

• Mme Françoise POLLET Soprano, Professeur du C.N.S.M de Lyon

 

 

"Nous sommes de fervents acteurs et admirateurs des arts du spectacle.

Parmi ceux-là, nous plaçons l'opéra au niveau le plus achevé du spectacle vivant et des productions de l'esprit. Depuis son apparition relativement récente, grâce à l'implication des princes et des Etats qui le soutiennent fortement, l'opéra a fait progresser les compositeurs dans leur façon d'orchestrer, les chanteurs dans leur technique dramatique et vocale, les dramaturges dans leur écriture, les techniciens du spectacle dans leurs métiers, et le public dans sa culture musicale. Cet art vivant et la pratique du chant, tellement constitutive de l'être humain, doivent être soutenus et encouragés dans notre pays.

 

Le constat suivant fait écho à la lecture d'un article où M. Jacques Drillon rapportait que, au Conservatoire National Supérieur de Paris, un élève sur trois entrant en classe de piano est extra-européen. Mais on trouve mieux en lisant très attentivement chaque année le programme de l'Opéra de Paris  ; cette saison encore un mystère s'y décèle : à quoi doit-on la forte présence d'artistes non-francophones, ou non-résidents en France, dans les distributions  ? Les chiffres sont là : 88%...  

 

Sur 174 solistes engagés cette saison 2007-2008 à l'Opéra de Paris, seuls 22 sont Francophones, Français ou résidents. Et encore, relégués aux parties mineures. Même le "Louise" de Charpentier, en langue française, ne retrouve que 3 chanteurs français contre 12 d'origine non-francophone sur le plateau. Qu'est-ce à dire ?

 

Serait-ce dû "à la maîtrise des langues", au "niveau musical", au "libre-arbitre des chefs d'orchestres", aux "formations dispensées en France, de si mauvaise qualité qu'il faut absolument recruter parmi les artistes européens voire extra-communautaires" ?

Non, bien sûr. Ces 88 % d'artistes lyriques ne chantent pas tous dans leur langue maternelle. Et pourquoi un chanteur Anglais ou Russe serait-il plus musicien qu'un autre, et pourquoi alors de nombreux étudiants étrangers entreraient-ils dans les écoles françaises de musique, à l'Opéra de Paris qui lui-même dispense dans ses murs une formation d'art lyrique, si leur contenu était si faible ? À "l'esprit d'ouverture" peut-être... Un esprit qui prend le visage dur de la concurrence sans frein et du chômage, car dans le contexte actuel, commencer une carrière devient proprement impossible : Nous-mêmes formons de jeunes chanteurs qui possèdent quelquefois plus de moyens que nous n'en avions à nos débuts, et qui ne trouvent pas de contrats... Alors, quelle politique de recrutement, quelle directive obscure contraint les maisons d'opéra ? Le citoyen, contributeur de la puissance publique, cherche à comprendre.

 

Depuis quelques années, les chanteurs lyriques formés en France  sont de plus en plus soumis à la concurrence de leurs homologues étrangers, notamment Américains du nord, Russes ou issus des pays de l'Est.

Symétriquement, où voit-on que les chanteurs français (exceptions notoires exclues) soient accueillis à bras-ouverts dans les maisons d'opéras étrangères, de Buenos Aires à Moscou en passant par Chicago ? Nulle part. Pas si bêtes : hors d'Europe on sait protéger ses emplois, son patrimoine, sa culture, sans risquer de procès en nationalisme. Et de grâce, ne nous répondez pas qu'il s'agit d'une politique de prestige. Lorsqu'un tel prestige coûte en termes humains tant de sacrifices, pour certains de sous-emploi, de fin de droits pour d'autres, ce n'est plus guère du prestige mais de la gabegie. Ce n'est pas qu'il faille jouer les chauvins, ni priver des Maisons du niveau de l'Opéra de Paris de l'apport artistique de quelques solistes invités d'exception. Naturellement pas. Tout le monde comprend bien que les salles de spectacles cherchent aussi à attirer un public plus nombreux, demandeur de têtes d'affiches. Mais la concurrence ne doit pas jouer systématiquement contre les chanteurs formés en France, qu'ils soient de nationalité française ou résidents francophones. Là, se pose gravement la question de la cohérence de l'action publique depuis la formation jusqu'à l'emploi. Les coûts et les durées de formation sont importants pour tous les musiciens. Ces dépenses reposent sur les fonds publics, et les coûts importants de production des spectacles vivants reposent aussi sur les deniers publics.

 

Va-t-on laisser plus longtemps nos talents se replier sur l'enseignement à défaut d'autres perspectives ? Dans quel autre pays voit-on les artistes formés in situ ne figurer que pour 12 % des distributions ? Le coût supporté par la collectivité pour les Conservatoires Nationaux Supérieurs est de 219 M€ (budget global annuel, hors dépenses de personnel, source ministère de la culture). À ce compte, on comprend pourquoi le secteur privé n'organise pas lui-même des formations de ce type. Ces formations particulières sont longues, onéreuses, et il n'est pas question de rentabilité… Il est donc nécessaire que l'Etat garde la main en garantissant l'égal accès de tous à une formation artistique de qualité. Il faut aussi avoir le courage de dire que notre niveau de formation musicale doit être amélioré. L'enseignement supérieur ne devrait être confié qu'à des professionnels aguerris aux arts de la scène (ce qui est loin d'être toujours le cas, hélas). Si on ne résout pas ces problèmes de formation et d'emploi très rapidement, les forces vives et les espoirs de la jeunesse s'affaibliront, et la spécificité de notre culture avec eux. Il ne faudra pas s'en plaindre d'ici à vingt années.

 

Pour avoir autour de nous de nombreux professionnels, nous savons que la conjoncture est très difficile en ce moment pour tous les musiciens ou même les chefs d'orchestre. Les chanteurs lyriques sont aussi intermittents du spectacle. Leur situation est simple : les solistes et les choristes venus d'ailleurs sont légion, alors que ceux qui ont le tort d'être autochtones sont au chômage. Comme nous, le citoyen comprend mal que cet effort de la nation à former des artistes soit malmené par la sur-représentation d'artistes formés ailleurs. Là aussi, on nous opposera l'esprit de modernité et d'ouverture. Mais c'est bien de l'efficience et de la pérennité des "investissements" de la nation tout entière dont il s'agit. Le contribuable, qui est aussi un spectateur payant sa place, voit d'un mauvais œil qu'il soit ponctionné trois fois : dans un premier temps pour les besoins légitimes d'une longue formation des artistes, ensuite à l'entrée du spectacle pour le cachet d'un artiste qui ne profitera pas à l'économie du pays, et une fois encore pour les besoins de l'assurance-chômage des artistes résidents de droit, restés de fait au chômage !

 

Et précisément, nous ne pouvons pas croire que derrière cette abondance de voix étrangères se cache en réalité des emplois anti-sociaux ; que par le biais d'une consigne officieuse, prônant le recours à des artistes "à bas coût patronal", on vise à exclure habilement du champ des allocations-chômage ceux qui y auraient droit à la fin de leur contrat : les artistes résidents en France... Car un artiste venu de lointaines contrées ne coûtera que 15% des charges patronales contre 44 % pour un artiste résident.

 

Si c'est effectivement le cas, c'est très grave. Cela signifierait qu'un Ministère, devenu schizophrène, encouragerait le dumping social. C'est-à-dire que les acquis sociaux, gagnés de haute lutte hier, désavantageraient leurs ayants-droit aujourd'hui (!). Les employeurs publics défavoriseraient ceux-là mêmes que l'Etat a formés. La puissance publique toute entière se comporterait alors comme le pire des patrons-voyous. Non, l'artiste qui est aussi un citoyen ne veut pas croire que la mondialisation va se nicher jusque dans les coulisses de l'Opéra…

 

Des solutions existent : tous les artistes-interprètes, lyriques, dramatiques, de la danse, souhaitent une refondation totale de la politique d'emploi dans les structures publiques de notre pays, seules capables de faire vivre des troupes permanentes. À l'instar des jeunes instituteurs qui signaient un contrat avec l'Etat après leur formation, nous aurions des artistes sous contrat stable de deux ou trois saisons, permettant à ceux qui sont exclus aujourd'hui par cette concurrence massive d'acquérir enfin la dignité du rang où leur formation les destine, et surtout d'acquérir l'irremplaçable expérience de la scène nécessaire à la prise de rôles et à l'épanouissement personnel et professionnel des chanteurs. Les grandes voix d'autrefois, dont les plus brillantes chantent encore aujourd'hui, ont connu les troupes permanentes. Eux, savent à quel point les troupes leur ont permis de devenir ce qu'ils sont : de véritables artistes pouvant bâtir l'édifice de leur carrière, et non pas de fragiles intermittents, obligés d'auditionner encore et prouver en permanence qu'ils sont les meilleurs, alors qu'ils sont dans la plus grande précarité.

 

Nous sommes de ceux qui pensent que la politique culturelle d'un pays comme le nôtre devrait être plus responsable et plus honnête. Elle devrait protéger les talents et les emplois en donnant les moyens à cette solution de stabilité. Cela romprait avec les politiques de vain prestige et de petits emplois à courte-vue. Car à voir se produire certains artistes dans d'autres maisons d'opéra de second plan, sous des baguettes de qualité, on se dit qu'il y a une richesse et un potentiel qui n'a rien à envier à ceux dont la carte de visite les mène de Salzbourg à New-York ou de Moscou à Paris.

 

C'est dans un souci positif de cohérence et d'équité que nous formulons cette proposition simple : Il est plus que temps de reformer ces troupes, et d'y inclure en nombre les artistes formés en France, francophones et résidents. Il en va de la défense de notre patrimoine. Au rythme où le gâchis avance, dans dix ans, il sera trop tard. D'ailleurs, le financement de telles structures ne serait pas plus élevé que les montants dépensés pour des productions de prestige, pour les cachets faramineux de soi-disant grands chanteurs ou metteurs-en-scène, et serait mieux utilisé que les sommes allouées aux chanteurs français pour financer leur chômage. Elles recréeraient un cercle vertueux." 

 

 

 

Signataires : 

par ordre chronologique

 

 365 artistes solistes, chanteurs, instrumentistes, chefs, ont signé ce Manifeste...

Clôt le 1° nov 2010

 

 

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